Le tannage

1) Le tannage, une pratique antique

L'Homme s'est très vite rendu compte q'il n'y avait pas que de la nourriture à prendre sur l'animal qu'il venait de tuer pour se nourir. Mais pour garder et utiliser les peaux de bête, il lui fallu réfléchir et en cela inventer le tannage. En effet la peau desséchée sans aucune préparation se pourrit aisément, s'imprègne d'eau avec facilité, et se détruit par un frottement répété.

Pour remédier à tous ces inconvénients, il faut traiter la peau, la transformer en cuir grâce à une propriété qui lui est commune avec presque tous les autres tissus des animaux: c'est de pouvoir s'unir intimement au tanin.

Si un morceau de peau est plongé dans une dissolution aqueuse de tanin, ou dans la décoction d'une substance astringente quelconque, il enlève peu à peu ce principe à l'eau, qui, au bout d'un temps suffisant, n'en renferme plus aucune trace. Le composé ainsi produit est très dur, tout à fait insoluble, imputrescible, et peut supporter les alternatives de sécheresse et d'humidité sans absorber l'eau. Cette réaction vous indique la théorje du tannage, nom que l'on donne à l'opération qui convertit les peaux des animaux en cuir.

Cet art a été pratiqué de toute antiquité, mais c'est seulement depuis la fin du 18e siècle dernier qu'il a fait des progrès immenses, grâce au secours de plusieurs chimistes, de Béguin entre autres.

2) Le tanin

Toutes les plantes astringentes qui renferment du tanin en assez forte proportion, celles que le teinturier utilise pour obtenir des couleurs brunes ou noires, telles que le sumac, les écorces de chêne, de châtaignier, des mimosas, les gousses de bablah, de dividivi, les excroissances ou galles des arbres, le cachou, la noix d'arec, etc., peuvent servir à la conservation des peaux, c'est-à-dire à leur transformation en cuir. Mais en France, en Angleterre, en Belgique, en Suisse, où le chêne abonde, c'est son écorce qui est presque exclusivement employée à cet usage notamment celle du chêne à trochets ou à petits glands (Quercus glomerata des botanistes), l'une des variétés du chêne rouvre ou roure (Quercus rpobur).

Les autres pays d'Europe et d'outre-mer, moins favorisés, ont recours en grande partie aux autres substances astringentes ci-dessus indiquées; mais elles donnent au cuir un aspect terreux et moins de souplesse.
En France, l'écorce de chêne est réduite en poudre grossière sous des meules; dans cet état, elle porte le nom de tan. C'est de ce vieux mot que dérivent ceux de tannerie, tannage, tanneur.

Le tanneur exerce son art sur les peaux fraîches des animaux de boucherie et sur les peaux qui arrivent sèches, salées ou non, de plusieurs Etats d'Amérique, notamment de Bahia et de Buenos- Ayres.
Lorsqu'on opère sur les peaux fraîches, après les avoir dépouillées des chairs et des cornes, on les met à tremper dans l'eau pendant deux à trois jours pour les bien laver. Quand on agit sur les peaux exotiques, qui sont sèches et' racornies, on les fait macérer dans l'eau, souvent même dans l'eau de chaux; puis, pour les ramollir, on les piétine et on les étire en tous sens.

3) 18e siècle, un procédé peaufiné sur des bases préhistoriques

a) Les cuirs mous

La fabrication des cuirs mous comprend quatre opérations distinctes :

La première, dite pelanage, consiste à passer les peaux successivement dans quatre ou cinq cuves (nommées pelains dans les ateliers), contenant un lait de chaux, de plus en plus riche en chaux récente. Cette macération, qui dure de trois semaines à un mois, a pour but d'ouvrir les pores de manière que les poils puissent être enlevés facilement.

La deuxième opération, nommée épilage ou débourrage, consiste à enlever le poil qui les recouvre. A cet effet, chaque peau est étendue sur un chevalet du côté de la chair, et un ouvrier en racle la surface pileuse avec un couteau émoussé, dit couteau rond.
Il les jette à l'eau au fur et à mesure puis les reporte sur le chevalet, où, avec un couteau tranchant à lame circulaire, il enlève les chairs encore adhérentes, l'épiderme qui ne se combine pas au tanin, les bords et les portions de peau inutiles. Avec une pierre de grès, parente aux pierres à faux, il adoucit le grain de la fleur, c'est-à-dire le côté du poil, en faisant disparaître les petites protubérances qui s'y montrent; enfin il passe de nouveau le couteau circulaire sur les deux faces de la peau jusqu'à ce que l'eau de lavage n'entraîne plus d'impuretés.

Au cours du 19e siècle, Félix Boudet a amélioré ces 2 opérations en substituant la chaux par de la soude caustique pour le pelanage. Les traces de chaux résiduelles formaient un tannate de chaux insoluble qui ralentissait l'absorption du tanin par la peau et réduisait la souplesse du cuir. L'utilisation de la soude permit de faire un tanner une peau en moitié moins de temps.

La troisième opération, appelée gonflement, a pour but d'ouvrir autant que possible les pores de la peau afin de faciliter l'absorption du tanin. Ce résultat est obtenu en tenant les peaux plongées pendant plusieurs jours, à la température ordinaire, dans de la jusée, qui n'est autre chose que de l'eau aigrie par son contact avec de la tannée ou tan usé. Des liqueurs faibles sont utilisées au début, les peaux sont relevées chaque jour, pendant les trois ou quatre premiers, en ajoutant à chaque immersion un à deux paniers de tannée. Puis elles sont laissées en repos pendant quelques jours avant de les porter dans une liqueur plus forte (une infusion de tan neuf marquant 0,9°) dans le sein de laquelle elles restent pendant une quinzaine de jours. Lorsqu'elles ont acquis une couleur blonde, elles sont prêtes à subir la quatrième opération.

Celle-ci est le tannage proprement dit, ou la mise en fosses. Les peaux sont empilées dans de grandes cuves de bois ou de maçonnerie imperméable, appelées fosses, avec du tan dont les couches ont quelques centimètres d'épaisseur. Chaque fosse peut contenir de 600 à 700 peaux. Une couche épaisse de tan neuf puis de tannée, coiffés de planches et de pierres viennent terminer le montage. L'eau est envoyé de manière à abreuver toute la masse. Le tanin de l'écorce se dissout et est successivement absorbé par les peaux, qui se durcissent. Au bout de quelques mois, le tan est renouvelé et les peaux sont placées en sens inverse, celles de dessus au fond et réciproquement, pour un second temps de tannage équivalent. Le tannage n'est complet qu'au bout du sixième ou du huitième mois, selon l'épaisseur des peaux. Celles-ci sont alors du cuir qu'il ne reste plus qu'à manufacturer.

b) Les cuirs forts

Le tannage des peaux destinées à fournir des cuirs forts ne présente que de légères différences.

Il faut environ 300 kg de tan pour 100 kg de peau fraîche, et le poids de celle-ci s'élève à 1,50 kg par le tannage.

4) Concilier temps de traitement et qualité

Dans quelques localités, on coud les peaux comme des sacs, on les remplit d'eau et de tan, puis on les tient plongées dans une infusion de cette dernière substance. Par ce moyen, dit tannage au sippage ou à la danoise, les cuirs sont confectionnés en deux mois.

Armand Séguin, chargé, en 1792, de procurer des cuirs au gouvernement dans un instant où les besoins de cet objet, si essentiel aux armées, étaient urgents, parvint à tanner en vingt-cinq jours non seulement les baudriers, mais même les cuirs les plus forts. Son procédé consistait à tremper les peaux dans des infusions de tan, d'abord très faibles en tanin, puis de plus en plus chargées de ce principe, et à mettre en fosses pendant quelque temps pour terminer le tannage. Mais les cuirs ainsi obtenus n'étaient pas de très bonne qualité. Cependant, tout médiocres qu'ils étaient, ils n'en rendirent pas moins de grands services à la République, en lui donnant les moyens de fournir des chaussures à ses soldats victorieux, mais nu-pieds.

Depuis le milieu du 19e siècle, de nombreuses recherches afin d'améliorer le procédé ont été effectuées, notamment par Félix Loudet, Ogereau, Sterlingue, William Drake, Turnbull, Knowlys, Dnesbury, Durand Chancerel, Pelletreau et Vauquelin; mais le temps n'a pas consacré la bonté des améliorations proposées. D'ailleurs, la pratique a démontré que le tannage traditionnel ne peut être parfait qu'à la condition d'opérer d'une manière très lente la combinaison du tanin avec le tissu animal. Néanmoins, par l'emploi de machines appropriées et par la substitution de l'infusion de tan à l'écorce sèche en nature, le tanneur Vauquelin opéra le tannage complet des peaux de boeuf en 90 jours, celui des peaux de vache en 60, et des peaux de veau en 30.

Note : la noix de galle servait également à produire l'encre noire ordinaire, inventée par le rabbin Meir au 4e siècle.

Tiré de Physique et chimie populaire - par Alexis Clerc